Document de principes
Affichage : le 7 septembre 2012 | Reconduit : le 1 janvier 2020
Anna Banerji; Société canadienne de pédiatrie, Comité de la santé des Premières Nations, des Inuits et des Métis
Version abrégée : Paediatr Child Health 2012;17(7):394
Les blessures non intentionnelles sont la principale cause de décès chez les enfants et adolescents autochtones canadiens, à un taux de trois à quatre fois la moyenne nationale. Non seulement les décès et les blessures invalidantes dévastent les familles et les communautés, mais elles font également d’énormes ravages sur les ressources de santé. L’absence de statistiques, de surveillance continue ou de programmes de prévention des blessures à l’égard des enfants et adolescents autochtones exacerbe les coûts en matière de main-d’œuvre et de santé. Les communautés autochtones sont hétérogènes sur le plan culturel, qu’il s’agisse de l’accès aux ressources ou même des risques et des types de blessures. Pourtant, en général, ces communautés sont beaucoup plus susceptibles d’être pauvres, d’habiter dans un logement insalubre et d’éprouver de la difficulté à accéder aux soins de santé, des facteurs qui accroissent le risque et les conséquences des blessures. Il existe un besoin urgent de surveillance des blessures, de recherche, de renforcement des capacités, de diffusion des connaissances et de programmes de prévention des blessures qui sont axés sur les populations autochtones. Pour prévenir les blessures de manière efficace, il faut adopter des démarches multidisciplinaires, coopératives et durables, fondées sur des pratiques exemplaires, tout en étant spécifiques et sensibles sur le plan culturel et linguistique.
Mots clés : Death; Determinants of health; Disability; Indigenous; Injury; Injury prevention; Surveillance
Les blessures sont la principale cause de décès chez les enfants canadiens [1]-[3]. Toutefois, chez les enfants et adolescents autochtones, le taux de blessures est disproportionné et demeure la principale cause d’années potentielles de vie perdues (APVP) [4].
Environ 1,2 million de personnes, ou 5 % de la population canadienne, se disent Autochtones [5], c’est-à-dire qu’ils sont Inuits, Métis ou des Premières nations. Même si les données sur les blessures et la prévention des blessures (PB) chez les enfants et adolescents inuits et métis sont extrêmement limitées, une tendance est claire : le taux de mortalité attribuable à des blessures a diminué à la fois dans la population pédiatrique autochtone et générale depuis quelques décennies, tandis que les risques relatifs rajustés demeurent beaucoup plus élevés chez les enfants et adolescents autochtones, et ce, dans toutes les catégories de blessures [6].
Les enfants et les adolescents des communautés éloignées ont souvent un accès limité aux soins de santé ou sont moins susceptibles de se faire soigner pour des blessures. Ces facteurs faussent la véritable estimation des taux de blessure chez les enfants et adolescents autochtones. Au Canada, il n’existe pas de système pour attester les types de blessure au sein des populations autochtones, et encore moins chez les enfants et adolescents autochtones.
On évalue que le taux moyen de décès non intentionnels chez les enfants et adolescents autochtones est de trois à quatre fois plus élevé que chez les autres enfants du Canada [1]-[3], sans compter les variantes régionales. Les peuples des Premières nations du Manitoba, de la Saskatchewan et de la Colombie-Britannique présenteraient un taux de décès 6,5 fois plus élevé que celui de la population générale, et dans certains peuples, des taux de blessures particuliers sont jusqu’à 22 fois plus élevés que la moyenne canadienne [1][6][8]. Ainsi, dans les peuples des Premières nations, 26 % de tous les décès sont causés par des blessures, par rapport à seulement 6 % dans la population canadienne. D’après un rapport de l’Enquête régionale longitudinale sur la santé des Premières nations, le taux de décès attribuables à des blessures non intentionnelles est quatre fois plus élevé chez les nourrissons, cinq fois plus élevé chez les enfants d’âge préscolaire et trois fois plus élevé chez les adolescents que les moyennes de la population générale canadienne dans les mêmes groupes d’âge [9]. Puisque les jeunes sont plus susceptibles d’être victimes de blessures, les répercussions sont disproportionnées dans les communautés autochtones, où la population est statistiquement plus jeune [10]. Les blessures sont la principale cause d’APVP dans les peuples des Premières nations [4], ce qui représente plus d’APVP que toutes les autres causes de décès combinées, soit environ 4,5 fois la moyenne canadienne [7][11].
Les incendies et les collisions automobiles sont les principales causes de décès attribuables à des blessures chez les enfants de moins de dix ans, les collisions automobiles et les noyades étant responsables du plus grand nombre de décès chez les enfants et adolescents de dix à 19 ans [12]. Les blessures (intentionnelles ou non) étaient la principale cause de décès chez les enfants et adolescents métis du Manitoba (de un à 19 ans), représentant 71,6 % des décès totaux, par rapport à 63,1 % chez les autres enfants manitobains [13].
Le taux disproportionné de blessures dans les peuples autochtones a des conséquences dévastatrices à court et à long terme pour les enfants et les adolescents touchés, leur famille et la communauté. En général, les enfants et adolescents des Premières nations subissent le même type de blessures que leurs camarades non autochtones, mais à un taux plus élevé. De nombreuses études longitudinales attestent de taux plus élevés de graves blessures (c’est-à-dire qu’elles limitent l’activité et nécessitent des soins médicaux). Par exemple, 17,5 % des enfants des Premières nations qui habitent dans les réserves ont été blessés par rapport à 12 % de leurs homologues qui vivent hors réserve et à 10 % de la population canadienne [14][15]. Par ailleurs, 30 % des jeunes autochtones avaient subi une blessure importante au cours de 12 mois précédents [16]. Dans toutes les catégories d’âge, le taux de blessures était plus élevé chez les garçons que chez les filles [16]. Le bilan statistique de la Terr des Inuit indique que de 7 % à 11 % des enfants inuits de moins de 14 ans ont subi des blessures assez graves pour avoir besoin de soins médicaux dans les 12 mois précédents, et il laisse croire que ce pourcentage est sous-évalué en raison du manque de services de santé [17]. À; 12 %, le taux de blessures chez les enfants métis était similaire à celui de la population générale canadienne [18].
Les blessures plus graves peuvent provoquer une incapacité et nuire à la scolarisation, à la croissance et au développement, avoir des conséquences sur la future employabilité et contribuer à la dépression et à la consommation d’alcool et de drogues [12]. Selon une évaluation des graves traumatismes effectuée à Calgary, en Alberta, les peuples des Premières nations couraient près de quatre fois le risque de subir un grave traumatisme que la population générale, et étaient cinq fois plus susceptibles de subir un grave traumatisme attribuable à une collision automobile [19]. Les membres des Premières nations du Manitoba risquaient 3,7 fois plus d’être hospitalisés à cause d’une blessure que les autres Manitobains [20]. Si les populations autochtones sont plus susceptibles de subir de graves traumatismes, elles sont beaucoup moins susceptibles de recevoir des soins de réadaptation ou d’avoir accès à d’autres ressources après leur congé. En Saskatchewan, par exemple, 66,7 % des peuples des Premières nations ne disposaient pas de ressources après leur congé, qu’il s’agisse d’aide ou de traitement après un traumatisme crânien, par rapport à seulement 9,6 % de leurs homologues ne faisant pas partie des Premières nations [21].
Les raisons de ce risque disproportionné de blessures chez les enfants et adolescents autochtones sont nombreuses et complexes. D’après Statistique Canada, les familles autochtones ont davantage tendance à avoir un revenu moins élevé et à être moins scolarisées et sans emploi que les autres Canadiens, tout en étant généralement plus jeunes et plus susceptibles de vivre en région rurale [15]. Elles sont également plus susceptibles de vivre dans un logement insalubre et non sécuritaire et à subir des pénuries locales en matière de main-d’œuvre et de ressources de santé [22]. Les inégalités historiques, l’aliénation culturelle et la perte d’interdépendance avec l’environnement, de même que le sinistre héritage des pensionnats, contribuent à la dépression, à la consommation abusive d’alcool et de drogues, aux comportements de prise de risque qui s’y associent et aux pratiques parentales insuffisantes de certains. L’alcool est l’un des facteurs important des collisions automobiles, du fait de ne pas porter de ceinture de sécurité et des noyades [1][19][23]. L’absence de programme de PB ciblé ou adapté à la culture continue de constituer un obstacle. Les enfants et adolescents autochtones des régions rurales ne sont pas exposés autant que les autres Canadiens aux programmes de sécurité automobile (p. ex., sièges d’auto, ceinture de sécurité) ou aux campagnes contre la conduite avec les facultés affaiblies, ni aux cours de natation, à la formation en premiers soins ou en RCR, ni même à la mise en vigueur des lois déjà existantes en matière de sécurité [6].
Dans les communautés autochtones pauvres en ressources, les décès et les incapacités attribuables à une blessure nourrissent le cycle de pauvreté et de désespoir. Au Canada, d’après une analyse de coûts effectuée par Sauve-qui-pense, le fardeau économique total des blessures était évalué, en 2004, à 9,5 milliards de dollars en coûts directs et à 6,5 milliards de dollars en coûts indirects [24]. La réduction du taux de mortalité et de morbidité et la réaffectation des fonds à des utilisations plus constructives seraient extrêmement bénéfiques aux communautés pauvres et éloignées. En plus d’être rentables, des stratégies de PB bien conçues destinées aux Autochtones américains ont réussi à réduire le taux d’hospitalisations, la gravité des blessures et le taux de mortalité [25][6].
La présente rubrique porte sur les grandes causes de morbidité et de mortalité associées aux blessures.
Les collisions automobiles sont responsables du plus grand nombre de blessures et de décès chez les enfants et adolescents autochtones, particulièrement les garçons [22]. En général, les peuples autochtones sont plus vulnérables aux collisions automobiles parce que leurs communautés sont isolées, qu’il est plus difficile de se rendre dans un établissement de santé, que les routes sont généralement en mauvais état et que des véhicules dangereux, tels que les véhicules tout-terrains (VTT) et les motoneiges [1]), sont fréquemment utilisés ou servent dans des conditions dangereuses, souvent par nécessité. Parmi les autres éléments contribuant à l’incidence de blessures, soulignons la sous-utilisation des sièges d’auto dans les véhicules automobiles, la mise en vigueur déficiente des lois sur le port de la ceinture de sécurité, l’absence de port du casque et la consommation abusive d’alcool et de drogues. Dans une étude auprès d’Autochtones du nord-ouest américain, 41 % des enfants étaient mal attachés dans les véhicules automobiles [26]. Selon des études, les Autochtones américains des régions rurales qui n’utilisaient pas leur ceinture de sécurité couraient plus de deux fois le risque de blessures ou de décès que ceux qui l’utilisaient [26]. L’alcool était le principal facteur déterminant la non-utilisation de la ceinture de sécurité [23]. Une étude évaluant la mise en vigueur des lois sur le port de la ceinture de sécurité au sein de la nation Navajo a révélé qu’une augmentation du port de la ceinture de 7 % à 40 % chez les enfants réduisait à la fois le taux d’hospitalisations attribuables à une collision automobile et la gravité des blessures, et ce, de manière considérable [26].
La noyade demeure une cause courante de décès, notamment chez les garçons [1]. Même si les peuples autochtones constituent environ 5 % de la population canadienne, ils représentent environ 26 % des noyades en motoneige, 16 % des noyades après une chute, 10 % des noyades pendant des activités aquatiques récréatives et 9 % des noyades liées à des activités nautiques [1][8].
Les chutes dans un plan d’eau sont la principale cause de noyades, suivies des activités nautiques et des autres activités aquatiques [1]. Le Système canadien de surveillance des décès liés à l’eau démontre que six fois plus d’Autochtones que d’autres Canadiens se sont noyés en 1996. Au Manitoba, ce taux était dix fois plus élevé que la moyenne provinciale. Les noyades de tout-petits étaient 15 fois plus élevées que la moyenne canadienne et 22 fois plus élevées que la moyenne provinciale au Manitoba [1][8]. Dans les communautés autochtones, le risque de noyade augmente selon la proximité avec l’eau, le risque d’hypothermie (p. ex., dans le Grand Nord), la pratique de la motoneige sur de la glace mince et la sous-utilisation des vêtements de flottaison individuels (VFI). En 1996, seulement 6 % des Autochtones victimes de noyade portaient un VFI [1]. La consommation d’alcool contribue aux décès par noyade, car le taux d’alcool de 64 % des victimes était supérieur à la limite permise, par rapport à 27 % des cas de noyades chez les non-Autochtones [1].
Dans une enquête menée de 1991 à 1993, environ 31 % des décès attribuables à un incendie dans une population autochtone s’observaient chez des enfants de un à 14 ans, par rapport à 16 % de la population générale canadienne [1]. Une étude menée en Colombie-Britannique entre 1991 et 1998 a révélé qu’au sein des membres inscrits des Premières nations, le taux de mortalité attribuable à un incendie était huit fois plus élevé que la moyenne provinciale. De plus, en 1996-1997, les enfants des Premières nations du Manitoba risquaient cinq fois plus de mourir dans l’incendie d’une maison [1]. Le risque plus élevé de décès attribuables à un incendie s’explique par la plus forte proportion de fumeurs dans les ménages, par des logements insalubres aux charpentes de bois, par la sous-utilisation de détecteurs de fumée en bon état, par l’éloignement des camions de lutte contre les incendies et et du personnel [12] et par la pénurie de pompiers formés.
La Société canadienne de pédiatrie [28]-[32] et l’Agence de la santé publique du Canada [33] possèdent plusieurs ressources sur des stratégies de prévention précises. Dans le présent document, on présente des éléments à prendre en considération à l’égard de la PB chez les peuples autochtones. Pour être optimales, ces initiatives feraient appel à des démarches multidisciplinaires et viseraient les individus, les parents, les dispensateurs de soins et les chefs des communautés ou des gouvernements locaux. Les stratégies doivent être faciles à adapter afin de pouvoir être modifiées pour respecter la langue, la culture et les besoins politiques des diverses communautés. Elles doivent également faciliter la communication et renforcer les capacités locales [34][35]. Des programmes de PB qui fonctionnent se fondent toujours sur des pratiques exemplaires, la collaboration et la pérennité. Les programmes auprès des Autochtones doivent faire participer les communautés à chaque étape de l’intervention, soit la planification, la mise en œuvre et l’évaluation. Pour assurer la réussite du programme, il est essentiel de faire preuve de respect envers l’autonomie locale, en obtenant le consentement avant une intervention ou une évaluation et en s’assurant de la présence de mécanismes de partage des données convenables.
Plusieurs organismes ont adopté des stratégies de PB qui visent les communautés autochtones. La première Enquête régionale longitudinale sur la santé des Premières nations contenait des recommandations sur la PB pour les communautés [36]. L’Assemblée des Premières nations a adopté des résolutions sur la nécessité d’agir et la préparation d’une stratégie nationale de PB détaillée orientée par le groupe consultatif régional de prévention des blessures des Premières nations (FNRIP) [37]. L’Organisation nationale des représentants indiens et inuits en santé communautaire (ONRIISC) a organisé la National Aboriginal IP Conference en 2004 [38]. Les Pauktuutit Inuit Women of Canada ont adopté une résolution sur la nécessité d’agir en matière de PB et en 2010, elles ont préparé le plan stratégique quinquennal 2010-2015 de prévention de blessures chez les Inuits. Cependant, les récentes compressions au budget fédéral ont largement éliminé ou compromis ces initiatives [37][39].
Le Programme d’aide préscolaire aux Autochtones contient un programme de PB pour enseigner aux travailleurs et aux parents à fournir des environnements sains et sécuritaires aux enfants. Grâce au Programme de soins de santé maternelle et infantile de Santé Canada, des infirmières et des visiteurs familiaux se rendent au domicile des familles à haut risque et des femmes enceintes qui vivent dans des communautés des Premières nations. Pendant ces visites, ils évaluent le caractère sécuritaire du domicile et la scolarisation des parents et remettent des ressources de formation. Il n’existe pas de programmes de PB efficaces et adaptés à la culture qui ciblent les Métis, et les enfants et adolescents métis n’y ont pas droit en vertu des Services de santé non assurés offerts aux autres enfants autochtones.
L’éducation, le renforcement, la facilitation, la conception, la mise en vigueur et l’emploi sont les six règles d’une PB réussie. Elles sont adaptées aux populations autochtones au tableau 1.
Afin de réduire le taux et la gravité des blessures non intentionnelles chez les enfants et adolescents autochtones du Canada, la Société canadienne de pédiatrie fait les recommandations suivantes :
Le comité de prévention des blessures et la section de la prévention de la maltraitance des enfants et des adolescents de la Société canadienne de pédiatrie ont révisé le présent document de principes.
COMITÉ DE LA SANTÉ DES PREMIÈRES NATIONS, DES INUITS ET DES MÉTIS DE LA SCP
Membres : William H Abelson MD (représentant du conseil); Anna Banerji MD; Lola T Baydala MD; Radha Jetty MD; Heide M Schroter MD; Jill M Starkes MD; Sam K Wong MD (président)
Représentants : Simon Brascoupé, Organisation nationale des représentants indiens et inuits en santé communautaire; Elizabeth Ford, Inuit Tapiriit Kanatami; Carolyn Harrison, Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits, Santé Canada; Kathy Langlois, Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits, Santé Canada; Lisa Monkman MD, Indigenous Physicians Association of Canada; Kelly R Moore MD, comité de la santé des enfants autochtones américains, American Academy of Pediatrics; Melanie Morningstar, Assemblée des Premières nations; Eduardo Vides, Ralliement national des Métis; Cathy Winters, Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits, Santé Canada
Conseillers : James Irvine MD; Kent Saylor MD
Auteure principale : Anna Banerji MD
Avertissement : Les recommandations du présent document de principes ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement exclusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes. Les adresses Internet sont à jour au moment de la publication.
Mise à jour : le 7 février 2024