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La COVID-19 et les enfants autochtones du Canada : que peuvent faire les pédiatres?

Affiché le 8 juin 2020 par la Société canadienne de pédiatrie | Permalink

Catégorie(s) : COVID-19

par le docteur Ryan Giroux, la professeure Cindy Blackstock et les docteures Radha Jetty, Susan Bennett et Sarah Gander

De nombreux enfants et de nombreuses familles issus des Premières Nations, des Métis et des Inuits sont aux prises avec une impasse coloniale à l’égard de la COVID-19. En raison de leur héritage colonial, ils sont plus susceptibles d’être atteints d’affections préexistantes, ce qui les expose à un pronostic défavorable du virus. Parallèlement, bon nombre de leurs communautés ont accès à des ressources inéquitables pour répondre au virus et aux perturbations découlant des mesures sanitaires. Pour aggraver la situation, les pratiques culturelles au cœur de la résilience et du bien-être, comme les Aînés qui s’occupent des enfants, sont également ébranlées.

Puisque la COVID-19 amplifie les inégalités de nombreux groupes marginalisés au Canada, ces écarts continueront à s’élargir en l’absence de mesures coordonnées entre les communautés, les chefs autochtones, les dispensateurs de soins et les gouvernements. Pendant cette pandémie, les pédiatres doivent être conscients des difficultés propres aux enfants autochtones et savoir contribuer au bien-être de leurs patients.

Qu’avons-nous appris du passé?

Les pandémies et les épidémies passées ont démontré le risque plus élevé que courent les peuples autochtones à l’égard de la COVID-19. Les colons européens ont transmis les maladies étrangères aux Amériques, ce qui a entraîné la mort de plus de 90 % des peuples autochtones. Au début du XXe siècle, le docteur Peter Bryce, médecin-hygiéniste en chef du ministère fédéral des Indiens, a découvert que les éclosions de tuberculose dans certaines écoles résidentielles étaient responsables d’un taux de décès atteignant les 69 % chez les enfants, un résultat direct du financement inéquitable des soins de santé et des piètres conditions de santé. Le gouvernement canadien a tu systématiquement cette information, et les peuples issus des Premières Nations et des Inuits (y compris les enfants) continuent de présenter des taux de tuberculose beaucoup plus élevés que les autres groupes.

Lors de la pandémie récente de H1N1 en 2009, de plus fortes proportions d’enfants autochtones ont été hospitalisées et admises aux soins intensifs et l’ensemble des peuples autochtones a présenté un plus fort taux de mortalité. Ces résultats étaient également liés à un mauvais état de santé sous-jacent, aux difficultés d’accès aux soins et aux inégalités systémiques. Malgré les leçons des pandémies passées, les familles et les communautés autochtones continuent d’être privés des produits de première nécessité : l’eau potable, l’accès aux services de santé et un logement approprié, entre autres.

Pourquoi les enfants autochtones ont besoin d’une attention particulière

En général, les enfants ont tendance à être moins touchés par les conséquences directes de la COVID-19 que les personnes âgées, mais ils portent un lourd fardeau en raison de la réponse de la santé publique et des résultats de ces mesures. Les communautés autochtones, notamment les Inuits et les Premières Nations des régions éloignées, sont également plus vulnérables en situation de crise, en raison de l’effet de l’accumulation des urgences (voir, par exemple, le rapport du vérificateur général du Canada du printemps 2015). Le tableau 1 révèle la multiplication des problèmes qui entraînent des difficultés pour les enfants et les familles autochtones.

Tableau 1. Des difficultés supplémentaires pour les communautés autochtones pendant les crises sanitaires
  Difficulté Exemple

Accès aux soins

Manque d’information sur les langues autochtones, centres de santé sous-financés, disponibilité de l’équipement de protection individuelle et des tests de dépistage de la COVID-19 Les villages métis du nord de la Saskatchewan sont sans soutien financier, sans chaînes d’approvisionnement ni plan de pandémie en raison des compétences floues entre le système de santé fédéral et provincial.

Mesures préventives

Difficulté à s’isoler en raison des logements médiocres et surpeuplés, de l’absence d’eau potable pour assurer une hygiène efficace, de la pauvreté importante et de l’insécurité alimentaire La Première Nation Eabametoong du nord de l’Ontario a établi que le surpeuplement des logements est un enjeu majeur pour la réponse à la pandémie : on dénombre de six à 18 personnes par ménage.

Risques pour la communauté

À cause de l’isolement, impossibilité pour les familles et les communautés de travailler ensemble aux soins de la petite enfance ou d’enseigner les connaissances sur les pratiques culturelles Les Programmes d’aide préscolaire aux Autochtones sont maintenant fermés, et les Aînés ou les Gardiens du savoir ne peuvent pas rendre visite aux familles à leur domicile.
Fardeau pour la famille et les soignants Perte de revenu, difficulté d’accès aux soins de la petite enfance, maladie entraînant un déplacement d’enfants, absence d’accès Internet De nombreuses communautés rurales et du Nord, comme le Nunavut, ont un accès minimal à une large bande passante, ce qui nuit au fonctionnement de plateformes d’apprentissage en ligne.

Le soutien aux enfants autochtones dans votre pratique

Les pédiatres prennent souvent position pour les patients, leur famille et des populations en particulier. La Société canadienne de pédiatrie adhère aux principes de Rassemblés autour d’un rêve, qui décrivent les éléments de prises de position efficaces pour les enfants autochtones. Les Appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation (2015) constituent un autre document sentinelle qui renferme 94 recommandations différentes de priorités et de solutions, établies par les communautés autochtones.

Les pédiatres peuvent prendre les quelques mesures suivantes pour repérer et soutenir les enfants autochtones pendant la pandémie et par la suite :

  • Promouvoir un milieu qui tient compte des traumatismes et est sécuritaire sur le plan culturel, et s’assurer que les patients et les familles peuvent déterminer s’ils ont obtenu des soins sécuritaires.
  • S’informer des inégalités structurelles et du colonialisme qui minent le bien-être des enfants et de leur famille et composer avec ces caractéristiques.
  • S’informer de l’historique du patient autochtone et de sa famille et chercher à comprendre les effets de ces expériences sur leurs besoins de santé.
  • Procéder au dépistage de la pauvreté, des logements vulnérables, de la disponibilité de l’eau potable et des autres déterminants de la santé chez les enfants et leur famille.
  • S’associer à des organismes de communautés autochtones pour contribuer à soutenir les familles à haut risque, par des mesures comme des vérifications par téléphone, des conseils en santé mentale, la livraison d’aliments, des cartes-cadeaux d’épicerie ou des mesures pour s’assurer qu’Internet et la technologie nécessaire soient installés pour maintenir des relations saines avec les membres isolés de la famille.

Si un membre de la famille d’un patient est en fin de vie (à cause de la COVID-19 ou pour une autre raison), il faut s’assurer qu’un processus sécuritaire est mis en place pour que les familles et les communautés puissent vivre les protocoles de la cérémonie et du décès. Il faut contribuer à coordonner les intérêts divergents des communautés, des établissements de santé et des autres organisations de santé autochtones.

Pas tous pareils : les prises de position sur le terrain pour des groupes particuliers d’enfants autochtones pendant la pandémie de COVID-19

Afin de prendre position pour les enfants autochtones, il faut comprendre les similarités et les différences au sein des communautés issues des Premières Nations, des Métis et des Inuits, entre elles et dans les populations particulières qui en font partie. Les approches « panautochtones » ne réussissent pas à saisir les effets de ces différences sur la santé des enfants. Par exemple, le gouvernement fédéral finance les services publics dans les réserves, tandis que les provinces et les territoires les financent hors réserve. De multiples rapports du vérificateur général du Canada et de multiples décisions du Tribunal canadien des droits de la personne font ressortir les inégalités importantes et continues dans le financement de ces services. Le tableau 2 décrit les problèmes en fonction de divers groupes.

Tableau 2. Problèmes pour des groupes autochtones particuliers au Canada
Groupe Difficultés Prise de position sur la COVID-19
Premières Nations dans les réserves

Sous-financement chronique de l’infrastructure de base comme l’eau, le système sanitaire et Internet, les services sociaux, la santé, les programmes de petite enfance et l’enseignement

Personnel de santé insuffisant et fournitures médicales insuffisantes

Perturbation des approches de soins traditionnelles causée par le colonialisme et, dans certains cas, par les protocoles de distanciation sociale imposés par la COVID-19

Barricades à l’entrée de certaines communautés des Premières Nations pour limiter la propagation de la COVID-19, ce qui bouleverse les liens et les systèmes de soutien familiaux

Continuer de faire des demandes de financement de produits et services pour les enfants des Premières Nations en invoquant le principe de Jordan (numéro sans frais en tout temps : 1-855-JP-CHILD ou ici).

Créer des stratégies de protection de la COVID-19 qui tiennent compte des avis d’ébullition de l’eau, des services sanitaires inappropriés et du surpeuplement.

Vérifier si les services de connectivité des technologies de l’information sont accessibles au moment d’explorer les possibilités de télémédecine ou d’aborder les mesures de soutien socio-éducatives.
Premières Nations hors réserve

Difficulté d’accès à des services de santé et des services sociaux appropriés à la culture

Manque de connaissances des dispensateurs de soins à l’égard des structures de financement des services de santé

Financement fédéral comparativement faible aux organisations hors réserve pour les secours en cas de COVID-19

Relier les enfants et les familles avec des fournisseurs de services autochtones ou des Premières Nations locaux, tels que les Centres de l’amitié

Connaître le fonctionnement du financement fédéral de la santé, de l’enseignement et des services sociaux, notamment les services de santé non assurés et le principe de Jordan, auxquels les enfants hors réserve peuvent avoir accès.

Des changements temporaires ont été apportés aux services de santé non assurés pour tenir compte de la COVID-19. Les mises à jour se trouvent ici.

Inuits

Logements inappropriés, mauvaise ventilation, surpeuplement des maisons et insécurité alimentaire propices à la propagation rapide de la COVID-19

Isolement obligatoire de 14 jours avant de pouvoir rentrer au Nunavut source de problèmes pour les familles

Perturbation de services de santé vitaux pour les communautés, y compris les soins de pédiatrie spécialisés

Utiliser L’Initiative : Les enfants inuits d’abord pour demander du financement pour la santé, l’éducation et les services sociaux pour les enfants inuits qui vivent à l’intérieur ou à l’extérieur de leurs territoires traditionnels.

Les fournisseurs de produits communautaires et de soins tertiaires en pédiatrie devraient s’associer pour intensifier les rendez-vous médicaux virtuels afin d’éviter les mouvements hors territoire.

Vérifier si les services de connectivité des technologies de l’information sont accessibles au moment d’explorer les possibilités de télémédecine ou d’aborder les mesures de soutien socio-éducatives.
Métis

Absence de perception et de dépistage des besoins de santé particuliers

Financement des communautés et des organisations métisses comparativement faible à l’égard des secours liés à la COVID-19
Connaître les mesures de soutien relatives à la COVID-19 pour les enfants métis et leur famille, fournies par les organisations métisses provinciales : Métis Nation of Alberta, Métis Nation Saskatchewan, Manitoba Métis Federation, Métis Nation of Ontario
Autochtones en milieu urbain

Difficulté d’accès à des soins appropriés à la culture

Incapacité de rentrer dans sa communauté d’origine si la Nation restreint l’accès des visiteurs ou exige l’isolement des visiteurs en provenance de centres urbains

Explorer les difficultés des familles si elles ne sont pas en mesure de rentrer dans leur communauté d’origine ou de rendre visite à leur famille.

Relier les enfants et les familles aux fournisseurs de services autochtones locaux, tels que les Centres de l’amitié.

Itinérance ou situation de logement précaire

Incapacité de s’isoler ou de respecter la distanciation sociale avec efficacité

Menaces d’éviction ou obligation de quitter un logement temporaire par mesure de précaution pour les propriétaires

Procéder au dépistage de l’itinérance et de la situation de logement précaire chez les jeunes et leur famille.

Connaître les mesures de soutien communautaire et l’aide financière offertes pour l’assistance au logement des familles et des jeunes autochtones.
Enfants au sein du système de protection de l’enfance et de la jeunesse

Danger d’atteindre l’âge d’exclusion du système pendant la pandémie de COVID-19.

Potentiel d’accroissement de la négligence, de la détresse psychosociale et du risque d’être témoin de violence pendant la pandémie

Perturbations possibles des visites de la famille et des autres modes de soutien thérapeutique pour les enfants et les adolescents en foyer d’accueil à cause de la COVID-19.

Proposer la prolongation des services et procéder au dépistage de la détresse chez les jeunes en foyer d’accueil.

Procéder au dépistage de la négligence et de la violence et comprendre les facteurs sous-jacents responsables de différentes formes de maltraitance.

Offrir une intervention précoce et un soutien social aux familles en détresse à cause de la COVID-19.

Vérifier l’accès aux technologies de l’information et parler d’enseignement sécuritaire, de socialisation et de visites familiales en contexte de COVID-19.

La COVID-19 a fait ressortir les inégalités structurelles en place et fait surgir de nouvelles difficultés pour les enfants, les familles et les communautés autochtones. Malgré tout, les familles et les communautés autochtones sont demeurées résilientes et élèvent des enfants forts et en santé depuis des milliers d’années. Les pédiatres doivent contribuer à rendre justice à tous les enfants autochtones pendant la pandémie de COVID-19 en cabinet et admettre qu’il sera essentiel de continuer de prendre position après cette crise. Autrement, ils omettent de tirer des leçons d’une autre pandémie et mettent à risque la santé et le bien-être des enfants et des familles issus des Premières Nations, des Métis et des Inuits du Canada.

Ressources supplémentaires

Des références et des ressources pour les professionnels de la santé sur la culture, l’histoire et le contexte socioculturel actuel des Premières Nations, des Inuits et des Métis et des ressources cliniques pour les dispensateurs de soins. Ce matériel a été compilé par le groupe d’intérêt de la santé des Premières Nations, des Inuits et des Métis de la SCP et sera publié en français à l’automne 2020.

Ce que peuvent faire les pédiatres pour soutenir les enfants et les adolescents pendant la pandémie de COVID-19 : section de la pédiatrie sociale, mai 2020

Fournisseurs de services et organisations autochtones :

Lettre de la Société canadienne de pédiatrie, en anglais, à Services aux Autochtones Canada sur la COVID-19

Ryan Giroux est un Métis de la Nation métisse de l’Alberta et un résident en troisième année de pédiatrie au Hospital for Sick Children de Toronto.

Cindy Blackstock est membre de la Première Nation Gitxsan, directrice générale de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et professeure de travail social à l’Université McGill.

Radha Jetty est pédiatre générale au Centre hospitalier pour enfants de l’est de l’Ontario à Ottawa et présidente du comité de la santé des Premières Nations, des Inuits et des Métis de la Société canadienne de pédiatrie.

Susan Bennett est directrice de la pédiatrie sociale au Centre hospitalier pour enfants de l’est de l’Ontario.

Sarah Gander est pédiatre générale à Saint John, au Nouveau-Brunswick, et présidente de la section de la pédiatrie sociale de la Société canadienne de pédiatrie.


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L’information contenue dans le présent blogue ne devrait pas remplacer les soins et les conseils d’un médecin. Les points de vue des blogueurs ne représentent pas nécessairement ceux de la Société canadienne de pédiatrie.

Mise à jour : le 8 juillet 2020